Enquête des disparues de l'Yonne, meurtre de Montigny-lès-Metz, affaire du petit Grégory... Leur point commun : des avancées considérables grâce à l'analyse criminelle, aussi appelée « Anacrim » dans le jargon. C'est par le biais de l'enquête sur le meurtre de Grégory que l'acronyme a été placé sous le feu des projecteurs. « Ce n'est pas un logiciel comme on peut le lire ou l'entendre un peu partout », précise cependant Frédéric Lenfant, ancien gendarme.
Il a exercé pendant douze ans comme analyste en recherches criminelles à la section de recherche de Toulouse. Aujourd'hui expert judiciaire à la Cour d'appel de Toulouse, il définit l'analyse criminelle comme une
« méthode forensique [judiciaire et scientifique, ndlr] mise en place pour analyser l'information au profit des enquêtes judiciaires ».
Aujourd’hui, pour analyser les informations, il existe deux logiciels :
IBM i2 Base, qui collecte les données ; et IBM i2 Analyst's Notebook, qui permet à l'analyste de réaliser des schémas de présentation visuelle de celles-ci.
Découper les éléments de l'enquête en différentes entités
Issue de la méthode « anacapa sciences », apparue aux États-Unis dans les années 1970, Anacrim est utilisée dans les gendarmerie depuis 1994. Mais aujourd’hui, son usage s'est élargi à plusieurs services de police.
Utilisée lors d'une enquête, Anacrim permet aussi d'établir des recoupements de différentes affaires. Elle forme alors une base de données constituée d'une multitude d'éléments relatifs à une enquête judiciaire : analyses financières, informatiques, téléphoniques, les auditions, les investigations… Les informations sont ensuite découpées en entités : « Cela peut être les personnes physiques, morales, les lieux, véhicules et téléphones notamment », précise Frédéric Lenfant.
L'objectif est de synthétiser les éléments de l'enquête, d’obtenir des corrélations, des incohérences, ou bien de favoriser l'émergence de nouvelles pistes. Cette production d'informations permet « d'aider la décision au sein de l'enquête et d'orienter celle-ci », éclaire l'expert. Il tempère cependant : « Les logiciels ne font pas des miracles. Le résultat reposera d'abord et avant tout sur le travail de l'analyste. »
Les difficultés des sources non-numériques
Un travail titanesque d'introduction des données dans le logiciel est à effectuer, surtout lorsque celles-ci ne proviennent pas d'une source numérique. Cette situation s'est d’ailleurs présentée au cours de l'affaire du petit Grégory. Les analystes ont fait face à des données non structurées, issues des nombreux procès-verbaux en format papier. Dans ces cas-là, leur travail est conséquent : « Il faut que celui-ci décompose toutes les informations des procès-verbaux pour lui permettre de rentrer les informations dans le logiciel », affirme l'ancien gendarme.
L'intelligence artificielle ne parvient pas encore à réaliser cette tâche. Pire, cette introduction non-humaine des données peut poser des problèmes de fiabilité. Frédéric Lenfant ajoute : « Il faudra aller défendre notre travail aux Assises. Et nous ne pouvons pas nous permettre de dire que nous sommes sûrs à 80 % qu'untel ou untel est l'auteur... »
« C'est comme trouver une aiguille dans une botte de foin »
L'analyse criminelle est utile pour les affaires où il existe de gros volumes de données, comme celle de la tuerie de Chevaline. Pour Frédéric Lenfant, cet outil peut déceler des éléments difficilement perceptibles par les enquêteurs : « C'est par le biais de l'analyse de l'information qu'il y a parfois une mise en évidence de choses que l'on n'aurait pas vu, puisque l'information est noyée dans tout un tas de données, qui, en plus, ne sont pas structurées. Mais c'est un peu comme trouver une aiguille dans une botte de foin. »
Il reste toutefois prudent sur l’importance de l’apparition de ce type de logiciels dans les services criminels : « Ce ne sont pas les logiciels qui ont bouleversé le traitement des affaires criminelles, mais c'est l'analyse criminelle elle-même. Même s'il est vrai que passer par les outils informatiques permet bien-entendu un gain de temps. »
Reste à savoir si Anacrim participera au dénouement de l'enquête, en révélant un élément capital parmi la masse de données collectées en cinq ans.