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« L’enquête parfaite n’existe pas, et le meurtre parfait non plus. » Jean-Marc Bloch est catégorique. Cet ancien policier à la renommée nationale s’est penché en 2015 sur l’affaire Chevaline, à l’occasion d’un numéro de « Non élucidé », magazine d’enquête sur France 2 qu’il co-animait avec Arnaud Poivre d’Arvor. Il trace un parallèle entre police et médecine, pour appuyer le fait qu’il est difficile d’expliquer l'inexplicable :

« Parfois en médecine, il y a certains cas qu'on ne peut pas guérir. Pour la police, c'est la même chose : on résout plein d'affaires, mais sur d'autres, on n'y arrive pas, sans savoir pourquoi. »

 

La découverte tardive de Zeena al-Hilli

 

Un état de fait sans équivoque, mais qui n’empêche pas de se poser des questions sur certains aspects du travail effectué par les autorités concernant le quadruple meurtre du 5 septembre 2012. La découverte très tardive de

Zeena al-Hilli a fait couler beaucoup d’encre, notamment dans la presse britannique. Recroquevillée sous les jupes de sa mère décédée, la fille cadette de la famille a été retrouvée près de huit heures après les meurtres, et alors même que les secours et les enquêteurs étaient sur place depuis plusieurs heures.

« Ce qui a pêché à Chevaline, c’est qu’il a été omis de vérifier qu’il restait des survivants parmi les personnes impliquées », reconnaît Philippe Esperança, ancien membre de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN).

 

Le laps de temps entre l’annonce du drame et l’arrivée de l’IRCGN,

chargé des prélèvements, a également déclenché un début de polémique. L’institut, qui agit à l’échelle nationale, était situé à l’époque à Rosny-sous-Bois

(Seine-Saint-Denis). Pourquoi ne pas avoir demandé l’intervention d’une partie de la police technique et scientifique d'Écully (Rhône), qui aurait pu être présente sur les lieux bien avant ? « Il s’agit d’un problème de compétence et de complémentarité entre police et gendarmerie », éclaire Jean-Marc Bloch. La tuerie a en effet eu lieu sur un territoire relevant de l’autorité de la gendarmerie, et seul le procureur peut décider de confier l’affaire à un autre service. Ce qui n’a pas été fait.

 

La difficile exploitation des indices

 

La mise en place de la collecte d’indices sur la scène de crime a également soulevé des interrogations. L’ADN d’un des experts de l’IRCGN a été retrouvé sur un échantillon balistique à la suite d’une mauvaise manipulation. De quoi exaspérer la presse anglaise, comme dans The Telegraph : « Encore une bévue qui fait dire aux enquêteurs principaux que l’affaire pourrait n’être jamais résolue. » Même si pour Jean-Marc Bloch, ce type d’événement « fait partie des aléas d’une constatation. Il arrive dans beaucoup d’affaires que l’on retrouve l’ADN d’un magistrat ou d’un enquêteur ».

 

Même la sécurisation de la scène de crime a suscité certaines interrogations, y compris dans les rangs de la police anglaise, qui s’est rapidement jointe à l’enquête. Selon Tom Parry, qui a couvert l’affaire pour le Daily Mirror, les journalistes ont eu accès au parking seulement 36 heures après les meurtres. « Ça n’arriverait probablement jamais en Angleterre. La police anglaise n’a jamais dit en public ce qu’elle pensait de tout cela, mais elle aurait sans doute fait différemment. »

 

Des pistes discutées

 

Le choix de privilégier un temps la piste menant à une affaire d’héritage et à Zaïd al-Hilli, le frère de Saad, a également créé un débat passionné outre-Manche. Les médias anglais ont axé nombre de leurs articles sur le cycliste Sylvain Mollier, en s’appuyant sur le fait qu’il aurait pu être le premier visé par les tirs. Une piste qu’ils ont longtemps reproché aux enquêteurs d’avoir écarté trop vite.

 

« Les Anglais sont très critiques envers les enquêteurs des autres pays », souligne Jean-Marc Bloch. « Dès qu'on a tendance à accuser un de leurs ressortissants, cela les choque beaucoup. Et quand on ne trouve pas la solution, ils sont extrêmement remontés. Cela s’est aussi vu sur la disparition d’une fillette au Portugal. »

Madeleine McCann, alors âgée de quatre ans, a disparu dans le sud du Portugal en 2003, une affaire abondamment commentée par les tabloïds britanniques.

L’ancien directeur de la police judiciaire de Versailles admet cependant que la piste concernant Sylvain Mollier a « peut-être été un peu délaissée ».

 

Près de six ans après ce quadruple meurtre, aucun nouveau rebondissement n’a rendu possible la conclusion de l’affaire de Chevaline. L’affaire se révèle encore trop complexe à résoudre.

« Dès le départ, il s’agit d’une affaire extrêmement compliquée. Il y a deux catégories de victimes qui n'ont a priori aucun lien entre elles. Une enquête, c'est un puzzle. Ici, il y a deux puzzles différents, qui s'emmêlent… », soupire

Jean-Marc Bloch. Mais cette tortueuse affaire pourrait cependant avoir déjà laissé une trace dans la façon de mener une enquête, notamment sur la chronologie d’une intervention.

« Ce que l’on peut apprendre de Chevaline, c’est que le porter-secours est l’énorme priorité », détaille Philippe Esperança. « On ne peut pas à proprement parler de virage, mais cela a été je pense la grande leçon de Chevaline. »

Une enquête sans faille ?

 

Une enquête sans faille ?

La tuerie de Chevaline

a entraîné une enquête au long cours, s’étalant sur plusieurs pays et rassemblant des dizaines

de professionnels différents.

Mais le travail de la gendarmerie n’a pas été épargné par les critiques, notamment de la presse anglaise.

« L’enquête parfaite n’existe pas, et le meurtre parfait non plus. »

Jean-Marc Bloch est catégorique. Cet ancien policier, à la renommée nationale, s’est penché en 2015 sur l’affaire Chevaline, à l’occasion d’un numéro de « Non élucidé », magazine d’enquête sur France 2 qu’il co-animait avec Arnaud Poivre d’Arvor. Il trace un parallèle entre police et médecine, pour appuyer le fait qu’il est difficile d’expliquer l'inexplicable : « Parfois en médecine, il y a certains cas qu'on ne peut pas guérir. Pour la police, c'est la même chose : on résout plein d'affaires, mais sur d'autres, on n'y arrive pas, sans savoir pourquoi. »

 

La découverte tardive de Zeena al-Hilli

 

Un état de fait sans équivoque, mais qui n’empêche pas de se poser des questions sur certains aspects du travail effectué par les autorités, concernant le quadruple meurtre du 5 septembre 2012. La découverte très tardive de Zeena al-Hilli a fait couler beaucoup d’encre, notamment dans la presse britannique. Recroquevillée sous les jupes de sa mère décédée, la fille cadette de la famille a été retrouvée près de huit heures après les meurtres, et alors même que les secours et les enquêteurs étaient sur place depuis plusieurs heures. « Ce qui a pêché à Chevaline, c’est qu’il a été omis de vérifier qu’il restait des survivants parmi les personnes impliquées », reconnaît Philippe Esperança, ancien membre de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN).

 

Le laps de temps entre l’annonce du drame et l’arrivée de l’IRCGN, chargé des prélèvements, a également déclenché un début de polémique. L’institut, qui agit à l’échelle nationale, était situé à l’époque à

Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Pourquoi ne pas avoir demandé l’intervention d’une partie de la police technique et scientifique d'Écully (Rhône), qui aurait pu être présente sur les lieux bien avant ? « Il s’agit d’un problème de compétence et de complémentarité entre police et gendarmerie », éclaire Jean-Marc Bloch. La tuerie a en effet eu lieu sur un territoire relevant de l’autorité de la gendarmerie, et seul le procureur peut décider de confier l’affaire à un autre service. Ce qui n’a pas été fait.
 

La difficile exploitation des indices

 

La mise en place de la collecte d’indices sur la scène de crime a également soulevé des interrogations. L’ADN d’un des experts de l’IRCGN a été retrouvé sur un échantillon balistique à la suite d’une mauvaise manipulation. De quoi exaspérer la presse anglaise, comme dans

The Telegraph : « Encore une bévue qui fait dire aux enquêteurs principaux que l’affaire pourrait n’être jamais résolue. » Même si pour Jean-Marc Bloch, ce type d’événement « fait partie des aléas d’une constatation. Il arrive dans beaucoup d’affaires que l’on retrouve l’ADN d’un magistrat ou d’un enquêteur. »

 

Même la sécurisation de la scène de crime a suscité certaines interrogations, y compris dans les rangs de la police anglaise, qui s’est rapidement jointe à l’enquête. Selon Tom Parry, qui a couvert l’affaire pour le Daily Mirror, les journalistes ont eu accès au parking seulement

36 heures après les meurtres. « Ça n’arriverait probablement jamais en Angleterre. La police anglaise n’a jamais dit en public ce qu’elle pensait de tout cela, mais elle aurait sans doute fait différemment. »

 

Des pistes discutées

 

Le choix de privilégier un temps la piste menant à une affaire d’héritage et à Zaïd al-Hilli, le frère de Saad, a également créé un débat passionné outre-Manche. Les médias anglais ont axé nombre de leurs articles sur le cycliste Sylvain Mollier, en s’appuyant sur le fait qu’il aurait pu être le premier visé par les tirs. Une piste qu’ils ont longtemps reproché aux enquêteurs d’avoir écarté trop vite.

 

« Les Anglais sont très critiques envers les enquêteurs des autres pays », souligne Jean-Marc Bloch. « Dès qu'on a tendance à accuser un de leurs ressortissants, cela les choque beaucoup. Et quand on ne trouve pas la solution, ils sont extrêmement remontés. Cela s’est aussi vu sur la disparition d’une fillette au Portugal. » Madeleine McCann, alors âgée de quatre ans, avait disparu dans le sud du Portugal en 2003, une affaire abondamment commentée par les tabloïds britanniques.

L’ancien directeur de la police judiciaire de Versailles admet cependant que la piste concernant Sylvain Mollier a « peut-être été un peu

délaissée ».

 

Près de six ans après ce quadruple meurtre, aucun nouveau rebondissement n’a rendu possible la conclusion de l’affaire Chevaline. L’affaire se révèle encore trop complexe à résoudre. « Dès le départ, il s’agit d’une affaire extrêmement compliquée. Il y a deux catégories de victimes qui n'ont a priori aucun lien entre elles. Une enquête, c'est un puzzle. Ici, il y a deux puzzles différents, qui s'emmêlent… », soupire Jean-Marc Bloch.

 

Mais cette tortueuse affaire pourrait cependant avoir déjà laissé une trace dans la façon de mener une enquête, notamment sur la chronologie d’une intervention. « Ce que l’on peut apprendre de Chevaline, c’est que le porter-secours est l’énorme priorité », détaille Philippe Esperança. « On ne peut pas à proprement parler de virage, mais cela a été je pense la grande leçon de Chevaline. »

La tuerie de Chevaline a entraîné une enquête au

long cours, s’étalant sur plusieurs pays et rassemblant des dizaines de professionnels différents.

Mais le travail de la gendarmerie n’a pas été épargné par les critiques, notamment de la presse anglaise.

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