Le 17 décembre 2012, le Parisien relaie une information du tabloïd anglais Daily Mail selon laquelle Sylvain Mollier, le cycliste français tué aux côtés de la famille al-Hilli, aurait pu être la principale cible de l’attaque de Chevaline. Le tabloïd britannique fait état de son analyse balistique (le cycliste a été touché en premier et a reçu plus de balles), exhume des histoires d’héritage et de disputes familiales, et finit par en tirer sa propre conclusion : Sylvain Mollier ne se trouvait pas là par hasard. Le procureur de l’époque, Éric Maillaud, dément ces informations. Il estime qu’il était là par erreur et que cette piste « a été fermée à 99,9% par les enquêteurs ».
Tom Parry est journaliste au Daily Mirror. Il a écrit le livre The Perfect Crime, en 2015, qui reprend la thèse selon laquelle le principal suspect est le légionnaire Patrice Menegaldo, qui s’est suicidé peu après son interrogatoire. Contacté par téléphone, il confirme qu’il a écrit cet ouvrage du fait, justement, de la fascination que provoque cette affaire : « Elle a duré très longtemps. À chaque fois que j’écrivais quelque chose, les gens étaient intéressés, ils voulaient en entendre un peu plus. » Mais il ne croit pas à une divergence entre la justice et la presse. Le journaliste est convaincu que les membres de l’équipe qui traite du dossier « sont suffisamment indépendants pour ne pas être influencés par la presse ».
« Ne pas se laisser embarquer par le bruit médiatique »
Mais après les désaccords qu’ils ont pu avoir sur la manière de traiter et de couvrir cette affaire, les médias français et leurs homologues anglo-saxons se retrouvent sur un point : la tuerie de Chevaline cache plus de choses qu’elle ne veut bien en dire. Face à un meurtre aux motivations encore aujourd’hui troubles, la tentation est grande de mener l’enquête en parallèle de la justice, voire même à sa place, sur ce que la presse britannique a nommé « The Alps Massacre ».
Ces suppositions trônent souvent en Une des médias Anglo-saxons.
Par exemple, pour émettre l’hypothèse que Sylvain Mollier était la cible principale, les journaux britanniques se sont appuyé sur son statut matrimonial et son passé. Bien que douteuse et non vérifiée, ladite hypothèse a suffi aux médias français pour relayer l’affaire. De quoi rendre ténue la frontière entre supposition et information. Julien Estrangin, rédacteur en chef de la locale du Dauphiné libéré à Annecy, alerte : « Il faut être prudent et ne pas se laisser embarquer par le bruit médiatique autour d’une telle affaire, qui peut être sujette à rebondissements. »
On l’a vu dans le traitement médiatique du cas Chevaline : la presse d’outre-Manche est coutumière de la transgression des frontières. Les tabloïds, notamment, sont souvent vilipendés pour leur volonté de tomber dans le sensationnalisme. Ratissant très large, ils tentent de rassembler le plus d’informations possible pour nourrir leurs articles et justifier leur politique éditoriale. Leurs Unes sont souvent des photographies pleine page, arborant un titre accrocheur. À l’intérieur, des articles avec des informations traitées en surface, parfois même non vérifiées, mais suffisamment intrigantes pour être reprises dans d’autres médias. Les tabloïds ne sont toutefois pas les seuls responsables : un documentaire de la BBC a également repris la thèse selon laquelle Sylvain Mollier était la cible principale du meurtre.
De quoi s'interroger sur le rôle des médias dans une telle affaire. Lors d'une interview à LCI le 5 septembre 2016, Éric Maillaud déclarait avoir « encore du mal à comprendre » l’engouement médiatique autour de l’affaire Chevaline. Un déchaînement qui l’a conduit à soigner ses interventions.
« Les conférences de presse que j’ai données étaient énormément préparées.
Il n’y a pas un mot que je n’ai pas souhaité prononcer. Il n’y avait aucune place pour l’improvisation », se souvient-il. Une façon pour le magistrat de limiter le passage des médias sur les plates-bandes de la justice... mais qui a pu justement les encourager à trouver des informations par eux-mêmes.
Et donc participer, sinon à la désinformation, du moins au flou entourant ces événements.